Le syndrome de la page blanche. (thème imposé. 400-800 mots)

 

La vapeur a déjà envahi la totalité de la pièce quand je pénètre lentement et sans bruit dans la salle de bain. Une ambiance chaude, humide et presque inquiétante me submerge : je sais ce que je vais découvrir.

Elle est ici, depuis des heures, immobile, laissant l'eau brûlante s’écouler sur sa peau et regardant inlassablement ses orteils. Je les imagine immédiatement se tortiller, se redresser et se cacher sous la mousse irisée, comme intimidés par son regard trop insistant. Mais les voit-elle seulement ? Je sais qu'elle fouine, perdue dans son imaginaire, qu'elle cherche aux confins de son esprit, de ses expériences ou des événements qui ont pu marquer son passé les mots qui pourront faire office d'un semblant de commencement.

J'avance sur la pointe des pieds de peur d'interrompre ce difficile processus. Je ne serai plus celui qui freinera cette mise au monde immatérielle. Elle me l'a trop souvent reproché; trop m'en a coûté. Hier encore, quand nous foulions les feuilles mortes de notre allée, main dans la main, et que je lui apposais un baiser délicat dans le cou, elle soupira, agacée de perdre le fil de son histoire; fil irrattrapable, emporté déjà dans les souffles tempétueux de l'oubli. Je la vis alors se fermer, pour un temps seulement je le sais, mais j'en souffre malgré moi.

Son silence intérieur d'ailleurs me brûle, comme elle souhaite que l'eau brûlante rougisse sa peau et lui procure les émotions nécessaires à cette lente naissance. Je sais qu'elle invoque ses dieux afin que des émotions la submergent et que prennent vie une phrase, un personnage, une existence à coucher sur la page blanche.

Je l'observe encore et encore, premier témoin de la création... et je patiente de longues minutes dans l'espoir que surgisse, aussi surprenante qu'un éclair sans orage, une étincelle illuminant enfin son regard vide, et soulevant les commissures de ses lèvres en un sourire rare et précieux. Son corps frémit alors et se meut en gestes saccadés, comme sortant de la torpeur hivernale.

Je sais qu'elle a enfin trouvé.

Mais dévoiler ma joie dès à présent serait précoce: ses nouveaux compagnons prendront une place certaine...  Je reste discret, mesurant mes émotions, et me rassasiant de voir la vie couler à nouveau dans ses veines, puis sous ses doigts, devant son clavier. Je serai nullement jaloux de ses personnages fictifs, juste heureux de reprendre notre chemin, après cette parenthèse éprouvante.

Comme par enchantement, nos balades seront enfin pleinement partagées, sa main vibrera dans la mienne, son corps se tordra délicieusement de rire à mes histoires, et ses yeux à nouveau ancrés amoureusement dans les miens.

  Ma chère et tendre est auteure... et parfois, le mal d'inspiration s'invite entre nous. Satané syndrome de la page blanche !

 

Marina CARRIEU