Le syndrome de la cabane. (thème imposé. 400-800 mots)
Persévérer
Le soleil pointe à l’horizon et réchauffe son dos ensommeillé. Son petit-déjeuner se termine, mais la forte dose de caféine ingurgitée n’effacera en rien les cernes creusant son regard. Louis le sait et pousse un long soupir. Un soupir sonore et profond. Un soupir quotidien d’espérance et de détermination pourtant aussitôt étouffé par une inquiétude féroce et ancrée dans ses tripes… Il jette sa tasse qui se brise en percutant l’évier sans que cela ne lui provoque aucun sursaut, et concentre le peu d’énergie dont il dispose sur la promesse secrète et silencieuse qu’il s’est sommé de tenir. Il songe ainsi à une nouvelle stratégie à développer, puisque les jeux, les câlins, les cris, le chantage ou la force ont échoué !
Et une minute plus tard, le voici qui se lève d’un bond. Son objectif est fixé : titiller la curiosité et l’envie ; éveiller les sens, et en particulier l’ouïe et l’odorat… pour qu’enfin apparaisse, au pas de sa chambre, le joli minois de son fils de quatre ans. L’ours bleu en peluche dormant en vrac sur le canapé est assis à table, trois œufs, cassés sans discrétion contre un saladier, et les portes des placards à la recherche de sucre et de farine, claquées de même. Le lait déborde, le fouet racle et percute, les injures légères rebondissent sur les murs face aux éclaboussures, mais rien ne semble bouger à sa droite.
Tenir, insister toujours, ne pas craquer, jamais, ni abandonner… telle est sa promesse.
La poêle rougit et Louis se raidit car l’enjeu est immense. Il inspire et y verse la quantité de pâte adéquate. De minuscules bulles grondent et éclatent en libérant leur effluve délicieuse.
Qui peut résister à l’odeur d’une crêpe ? se convainc-t-il. Personne !
Depuis dix jours, depuis que Liam a quitté l’hôpital, Louis désespère de le voir s’extraire de sa chambre devenue le reflet inconscient de celle, blanche et exiguë, qui lui servait de refuge et de repère de longs mois durant. Le service de pédiatrie instaura une routine rassurante, une nouvelle vie, mais difficile à oublier. Lancer un ballon dans le jardin, jouer aux petites voitures dans le salon ou lire une histoire sur le fauteuil, comme autant d’autres minuscules actes anodins, demeure impossible : l’extérieur le terrorise ; Liam s’y décompose, blêmit, panique…
Peut-être que la vapeur caramélisée qui s’envole et inonde la moindre parcelle d’air autour de lui saura l’attirer…
Les adorables narines délicates de l’enfant s’enflent et frémissent. Son dos lové dans un drap fin se cambre, les pointes de ses pieds potelés remuent tandis que ses bras s’étirent le long de ses oreilles avant que ses yeux ne s’écarquillent et fixent le plafond. Derrière ces pupilles dilatées, une lutte intérieure s’engage… son ventre crie famine, la peur du dehors se rappelle à lui.
— J’ai fait des crêpes !
Louis imagine déjà son bonhomme adoré osant une sortie ! Il le verrait retenir un large bâillement de sa main et imiter son doudou en s’installant à table face à lui. Mais sachant par résurgence de souvenirs d’enfance qu’amadouer un chat sauvage nécessite du temps et un regard en biais, Louis s’obligerait à ignorer cette présence vitale et symbole du bonheur retrouvé, et s’appliquerait à répéter les mêmes gestes, pour ne pas effrayer ni provoquer une fuite irréversible… Il disposerait une crêpe bien chaude sur une assiette, la saupoudrerait du sucre glace et la présenterait à son fils subjugué. Ce dernier l’enroulerait à l'aide de ses deux paumes bien à plat et y croquerait à pleines dents ! Puis le moulin à parole avalé à sa naissance tournerait encore et encore pour son plus grand plaisir !
C’est à cet instant précis qu’il s’autoriserait à redécouvrir les traits apaisés de son enfant… il ne s’en lasserait pas d’ailleurs, jusqu’au retour de son épouse qui troquerait son chagrin contre l’euphorie de la délivrance !
Mais Liam ne sort pas ; et la première crêpe noircit.
Comment agir face au syndrome de la cabane dont souffre son fils ? Comment vaincre sa crainte du monde extérieur, dévastant jusqu’à la curiosité inhérente à son âge ? Car personne ne peut résister à l’odeur d’une pâtisserie, non ?
Louis patiente une minute de plus, l’espoir au ventre, et finit par interrompre le supplice qu’endure son garçon en lui amenant son assiette pleine de crêpes, de bisous et de câlins.
Il soupire et, tandis qu’il le serre fort, songe au lendemain matin et au fabuleux gâteau au chocolat des plus alléchants qu’il lui confectionnera !
En effet, que faire de plus à part persévérer ?
Marina CARRIEU