La Musique de tes Mots (thème imposé. 400-800 mots)


Les chants polyphoniques cessent. Les mains caressent affectueusement mon épaule, les paroles de compassion sonnent comme de fausses notes et m’agressent… Je ne veux entendre personne d’autre que Vittoria ! 

Je peux faire apparaître son visage dans mes songes et sentir encore son parfum sur ma peau, mais sa voix, sa merveilleuse voix, s’est échappée avec elle… Ses histoires incroyables et ses confidences comme de tendres mélodies à mes oreilles ne me berceront plus… Je baisse la tête et pleure atrocement ma femme… 

Mon fils me rejoint, me réconforte, me prend par le bras et m’aide à grimper les innombrables marches glissantes jusqu’aux fortifications de Bosa, notre beau village sarde. La place est magnifique. Les remparts s’étirent, la tour s’élève et les oliviers s’étendent à perte de vue. Pourtant, il y a de très nombreuses années, je ne parvenais pas à remarquer cette beauté, seulement aveuglé par la sienne. 

Quelques cordes sonnent soudainement avec émotion, dans les confins de ma mémoire. Je frissonne immédiatement et me retrouve projeté dans le passé, le jour de notre rencontre… Tous les matins, je la croisais ici, sans qu’elle ne me remarque, et n’osais pas me retourner pour admirer sa démarche. Je m’arrêtais, face aux collines verdoyantes, et l’écoutais jouer dans mon dos, avec délectation. Tous les matins, Vittoria installait sa chaise à quelques dizaines de mètres derrière moi et commençait son récital à la guitare. Je restais à distance, me concentrais, espérais secrètement qu’elle caresse ma nuque de ses yeux verts, et me contentais amèrement de serrer les poings et de ravaler mes regrets de ne pas lui faire savoir mon existence ! Tous les matins, dès que la guitare chantait, mes mains se mettaient à trembler et jouaient au tambourin invisible. Mon cœur devenait cymbale et grosse caisse percutant sans pitié mon être. Je n’étais que douleur et souffrais à en mourir de n’être qu’un amoureux transparent et lâche ! 

Mais un jour, après plusieurs semaines ainsi, les cordes ont claqué brutalement en notes désespérées et dissonantes, en plein milieu d’un folk. J’ai sursauté vivement, étonné par tant de bruit. Puis, le vacarme s’est tu aussi vite qu’il avait résonné. Mon corps a hurlé dans le silence pour qu’elle reprenne sa musique au plus vite et qu’elle ne disparaisse pas si tôt dans les méandres des rues ! Je n’en pus plus d’attendre ! Puis, sa guitare a sonné à nouveau et m’a délivré mais, timide puis plus franche, elle a semblé me gronder. Une drôle de sensation m’a parcouru l’échine. J’ai hésité… et ai finalement compris. Je me suis retourné. Ses longs cheveux caressaient son instrument tandis que ses doigts le martelaient impunément. Elle a levé tout à coup la tête et a plongé ses yeux dans les miens. Ses sourcils froncés et sa bouche pincée se sont détendus aussitôt, ses notes se sont allégées et sont devenues air enjoué. J’ai laissé s’enfuir un puissant soupir et me suis avoué vaincu. Il fallait que j’ose lui faire face, une fois pour toutes ! La guitare m’a encouragé d’abord et j’ai transpiré, tout en m’étonnant de ne plus trembler puis, elle m’a enveloppé de passion et de lyrisme alors que je parvenais à accomplir quelques pas en oubliant tout le reste. Vittoria n’a pas baissé le regard, juste a rougi délicieusement quand je suis arrivé à sa hauteur et que je me suis figé, droit, devant elle. Elle a posé sa main délicatement sur les cordes. Sa guitare fut bâillonnée, pour toujours. Les spectateurs se sont dispersés, sans rien comprendre, et nous ont laissé, seuls au monde. Je me suis lancé… elle m’a répondu, en souriant… Une douce mélodie terriblement enivrante et inédite s’est invitée tout à coup dans nos corps… 

Vittoria, tu n’as plus eu besoin de ton instrument pour me parler : tu n’as plus jamais cessé de me bercer de tes paroles ! Ta voix a enveloppé mon être, tes histoires ont résonné comme de merveilleuses symphonies, tes sourires et tes caresses ont imposé le tempo, et tes mots en ont composé les partitions. 

Vittoria… Je donnerais tout pour pouvoir écouter et me laisser posséder encore une fois par la musique de tes mots ! 


Marina CARRIEU