Le Printemps (thème imposé. 400-800 mots)

 

Le sombre de la nuit de janvier s'efface peu à peu. Les brumes de l'insomnie s'évaporent. 

Mes yeux cernés s'animent et mes pupilles se rétractent devant la clarté et matinale. Mon esprit s'amuse encore à me torturer avec quelques images fugaces de ma vie d'avant, mais vite se fige. 

J'ai froid. Je devrais pourtant être heureux d'avoir survécu à une nouvelle nuit dehors, mais je ne suis plus que chair mordue par l'hiver et contrée dévastée par les tremblements.

Je dois me ressaisir. Allez, mon vieux! Si tu restes là à te morfondre, tu crèves!

J'imagine aussitôt un bon feu de cheminée et un repas chaud, puis me contorsionne. Je remue le bout de mes orteils assurément bleutés jusqu'à mon front paralysé. J'abandonne ensuite mon matelas mité et quitte mon impasse pour rejoindre mon mur de béton gris et les timides rayons du soleil le caressant.

Mes pieds frottent la neige en silence mais à l'intérieur, je grince, me déchire sous le poids du fatalisme. Je me sens comme un vieil automate construit de plomb et aux articulations oxydées. Huit mois sans domicile valent bien leur faisant en années!

Je me fixe à ma place habituelle, en face de la devanture d'un magasin de chaussures, coiffe mes cheveux et ma barbe hirsutes puis défroisse mes vêtements.

Je dispose ma casquette sur mon bout de trottoir et patiente en me délectant de la tiédeur du jour. Les mains plongées dans les poches de mon jean et le regard dans le vide, je tente une allure désinvolte pour oublier un temps que je suis le vieux clochard du quartier.

Sous mes yeux, de l'autre côté de la rue, le rideau métallique se lève; sous ma peau, je sens le processus qui s'amorce.

Au fait, quelle est votre définition du mot printemps? Une saison? La fin de l'hiver? Un synonyme d'année? Votre jeunesse? 

La mienne ne tient qu'en un geste: une main tendue. Celle d'une dame. Je ne connais pas son prénom, suppose qu'elle pourrait être ma fille, mais admire sa constance. 

La voilà qui arrive d'ailleurs. Chaque jour, après avoir ouvert son commerce, elle apparaît et m'apporte une tasse de café brûlant. Oh! elle ne reste pas longtemps, pas plus d'une minute il me semble, mais sans le savoir me bouleverse. 

Son bonjour chante à mes oreilles comme les oiseaux en parade nuptiale. Son sourire décrispe mes commissures et les étire comme les crevasses du dégel lézardent la glace, et lorsqu'elle s'éloigne en répétant qu'elle souhaiterait m'offrir plus, je lui avoue que je n'ambitionne rien d'autre que sa bienveillance.

Enfin seul à nouveau, je sirote mon nectar comme les abeilles butinent, et au rythme des gorgées avalées, je suinte le froid accumulé dans mes veines.

Chaque jour, grâce à cette dame, je sens au creux de mon ventre, une boule de feu comme un soleil de mars.

Elle est mon printemps.


 

Marina CARRIEU